Portraits d'écrivains

Interview de Sylvain Darthuy, lauréat 2022 du Mois de l’écriture

Alors que la deuxième édition du Mois de l’écriture se prépare, Sylvain Darthuy, lauréat de l’édition 2022, a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions. Après 21 jours de défis, le jury du Mois de l’écriture, composé de Anne-Gaëlle Huon et de membres des équipes Kobo et Fnac, avait été séduit par l’énergie et la sensibilité de ce jeune auteur. Tout au long de l’année 2023, Kobo Writing Life l’a accompagné sur la réécriture de son prochain roman. 

D’où vous vient l’envie d’écrire ?

J’ai toujours écrit. Je me souviens qu’étudiant, je passais mes soirées et mes week-ends à écrire des textes au lieu de réviser mes cours. Ça me passionnait. C’est donc une énergie totalement inconsciente qui me guide depuis longtemps. Évidemment, l’envie d’écrire vient surtout des émotions de mes lectures, de ces sensations folles, à pleurer sur Les Misérables, rire avec Proust ou vibrer avec d’autres auteurs plus contemporains. 

Comment et pourquoi vous êtes-vous lancé dans le Mois de l’écriture en novembre 2022 ?

C’était un hasard complet. Je cherchais des concours d’écriture pour m’entraîner et présenter enfin quelques textes à un public, et je suis tombé sur l’annonce de Kobo Writing Life. Il suffisait d’écrire un paragraphe par jour. Je me suis dit que je pouvais tenter, bien que je ne garantisse pas la régularité. Et puis je me suis pris au jeu, jusqu’au bout, sans attente particulière. 

Les défis quotidiens pendant 21 jours vous ont-ils aidé à mettre en place une routine d’écriture ? 

J’écris beaucoup et j’écris tout le temps, mais pour la première fois, vraiment, j’écrivais avec une publication directe. Un retour immédiat. Donc ce qui changeait, avec ce concours, c’est qu’il fallait convaincre vite, ou plutôt, persuader. Ce qui m’intéressait, c’était de faire surgir une émotion de chacun de mes textes. Et c’est difficile de toucher en si peu de mots. J’ai opté pour des portraits, parce que j’aime ça, et je me suis laissé guider par mon intuition. Je crois que c’est aussi ce qui me plait dans l’écriture, laisser les mots se poser sans trop réfléchir. 

Et puis, plus récemment, ça m’a donné l’idée d’écrire et de publier régulièrement sur les réseaux. J’essaie d’être assez régulier sur Instagram (@et_puis_) où j’essaie beaucoup de choses et j’adore ça. C’est un peu mon laboratoire (presque) secret. 

À la suite du concours, vous avez pu travailler et échanger avec une éditrice professionnelle sur votre projet en cours. Qu’avez-vous le plus apprécié dans le travail avec l’éditrice ?

C’est une chance merveilleuse. Manon, avec qui j’ai travaillé, a été la première personne avec qui j’ai pu parler de mon texte à voix haute. Je parle très rarement de ce que j’écris, par pudeur surtout, parce que je trouve l’écrit très intime. Pour la première fois donc, j’ai pu entendre le prénom de mes personnages dans la bouche d’une autre personne, débattre de leurs attitudes, cerner mes vices de langue, les défauts de construction, la manière de mener une histoire ; ça a été puissant. J’ai pu retravailler avec quelqu’un, alors que l’écriture est une activité extrêmement solitaire. Grâce à elle, je me suis plongé dans le mécanisme d’un scénario, en ai compris les fondamentaux, les axes, les objectifs, les tensions, tout ce sur quoi je faisais l’impasse, peut-être par snobisme, en tout cas par préjugé. Je pensais que je n’en avais pas besoin, que je ne voulais pas me formater. J’avais tort : certains mécanismes sont universels si on veut construire une bonne histoire. 

Cette expérience a-t-elle changé la manière dont vous écrivez ou dont vous aborderez un prochain ouvrage ? 

J’ai trois manuscrits dans le tiroir, et outre celui que j’ai présenté à Kobo Writing Life, j’ai commencé à en reprendre un autre avec ce nouveau regard. Et ça change tout. J’ai une formation en littérature, mais la narratologie, on ne l’enseigne pas à l’école. C’est dommage. J’ai dû tout réapprendre, alors que je maîtrise la critique littéraire : ça a été un terrible exercice d’humilité, mais ça m’a fait du bien. 

Et puis beaucoup d’idées ont émergé. En ce moment, j’ai en tête un manuscrit qui veut sortir mais que je n’ai pas encore trouvé le temps d’écrire, et cette fois-ci, je pars avec toute la structure en tête, la ligne temporelle, le thème – que je trouve génial –, les personnages que je construis petit à petit dans mon esprit. Le projet couve encore ; j’espère pouvoir bientôt le mettre par écrit. En tout cas, la structure est là et je suppose qu’elle fonctionne. Ça m’évitera d’avoir à tout reprendre cent fois depuis le début.

Quelle qualité vous semble indispensable pour devenir écrivain ? 

Il en faut deux, évidentes, selon moi, fondamentales – et je les reprends de Jean-Philippe Toussaint : l’urgence et la patience. L’urgence, parce qu’il faut qu’un texte veuille sortir, que vous deviez tout arrêter pour l’écrire, que ça sorte, de la gorge, des tripes, que ça fasse un peu mal aussi, tant mieux, tant pis. La patience, parce que le livre, c’est souvent le temps long, en tout cas, dans l’édition traditionnelle : l’écriture, les réécritures, la lecture par un éditeur, par un comité, l’approbation, la relecture, la programmation dans le calendrier de la maison. Ça peut mettre des années. Finalement, on écrit toujours dans l’urgence, mais pour le futur. Évidemment, l’autoédition réduit ce processus, mais il y a quand même un long travail sur le texte, incompressible. 

Vous attachez une grande attention au style. Comment avez-vous trouvé (ou travaillé) le vôtre ?

Houellebecq, qui reprend Schopenhauer, dit que le style, c’est quand on a quelque chose à dire. Je suis d’accord avec lui, mais j’ajouterais aussi ceci : le style, c’est avant tout une note de musique. C’est exactement comme ça que j’ai commencé le texte que j’ai présenté à Kobo : par une note. J’avais une phrase en tête, un prénom que je trouve magnifique, et un rythme. Et puis j’en ai fait un paragraphe que j’ai envoyé à des amis – lesquels m’ont dit de continuer. D’un paragraphe, je suis passé à un chapitre, et puis l’histoire s’est filée, comme une petite musique que j’ai mille fois retravaillée en la faisant tourner. J’aime beaucoup entendre les phrases, et si en les relisant je repère une fausse note, un accroc, je change, je corrige. Ça doit être fluide, ça doit être transparent. Le style, c’est l’invisible qui sonne bien. 

Quels ouvrages ou auteur·ices vous inspirent particulièrement ?

Outre Proust et Hugo qui sont pour moi au sommet, j’aime beaucoup les auteurs français contemporains – qu’on critique beaucoup trop à mon goût. Il y a des plumes qui m’émeuvent ou me bousculent à chaque nouvel ouvrage. Pour donner quelques noms : Nicolas Mathieu, Tanguy Viel, Pauline Delabroy-Allard, Constance Debré, Pierric Bailly, Santiago H. Amigorena, Philippe Forest.

Qu’est-ce qui fait, selon vous, un bon ouvrage ?

L’équilibre entre une bonne langue et un bon thème. Je me fous de « voyager » avec un livre. Ce que je veux, c’est vibrer et réfléchir. Il faut que ça me fasse rire, pleurer, craindre, et que j’en sorte bouleversé. Une gifle, un baiser. Et la leçon qui va avec. C’est ça, un bon bouquin pour moi, celui qui me violente un peu et que je veuille tout arrêter pour le finir.

Quel conseil pourriez-vous donner aux écrivain·es qui voudraient participer au Mois de l’écriture cette année ? 

D’essayer. De tenir. De se programmer. L’année dernière, j’avais compris que les mots à intégrer dans les textes étaient disponibles dès le début. J’écrivais donc avec un jour d’avance et relisais/retravaillais mon paragraphe tous les matins. Je déconseille d’écrire tous les textes en amont, c’est contreproductif : il faut se laisser progresser, comprendre ce qui ne va pas, ce qui peut être amélioré. Il y a une grande différence entre mes premières publications et les dernières. Entre temps, j’ai lu beaucoup les autres participants et j’ai découvert des choses brillantes qui m’ont donné des idées. Et surtout, je me suis amusé. 


Rendez-vous le 1er novembre pour le lancement du Mois de l’écriture 2023 !

1 réflexion au sujet de “Interview de Sylvain Darthuy, lauréat 2022 du Mois de l’écriture”

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