Conseils d'écriture pour les auteurs | Kobo Writing Life France

6 idées pour rendre votre texte plus vivant

Écrire, c’est s’emparer des mots pour mieux jouer avec. C’est faire valser la langue, lui insuffler une énergie nouvelle, c’est surprendre toujours plus le lecteur et mettre un coup de fouet à son imagination. Certains auteurs poussent loin les limites du jeu, parfois avec bonheur, d’autres sans saveur.

Dans cet article, nous allons voir comment les écrivains nourrissent leurs textes du point de vue du lexique pour les rendre étonnants, détonants, uniques. 

Quand l’auteur joue avec le champ lexical

Dès les premières phrases, l’écrivain choisit ses mots de telle sorte qu’il nous oriente dans une certaine direction. Dans l’exemple suivant, Éric Faye emploie le « je » pour nous entrainer à la suite de son personnage principal, et, d’emblée, c’est un être difficilement saisissable qui se dessine. 

En témoigne ce champ lexical des bordures et de l’indécision, avec des termes tels que « lisière », « chute libre », « serpents d’asphalte mou », « écume urbaine »« de guingois », « pas grand-chose », etc. 

« Il faut imaginer un quinquagénaire déçu de l’être si tôt et si fort, domicilié à la lisière de Nagasaki dans son pavillon d’un faubourg aux rues en chute libre. Et voyez ces serpents d’asphalte mou qui rampent vers le haut des monts, jusqu’à ce que toute cette écume urbaine de tôle, toiles, tuiles et je ne sais quoi encore cesse au pied d’une muraille de bambous désordonnés, de guingois. C’est là que j’habite. Qui ? Sans vouloir exagérer, je ne suis pas grand-chose. Je cultive des habitudes de célibataire qui me servent de garde-fou et me permettent de me dire qu’au fond, je ne démérite pas trop. » 

Nagasaki – Éric Faye

Entrer dans ce roman à la fois court et fuyant, c’est plonger dans le quotidien d’un homme seul, aux habitudes ancrées, aux horaires fermes qui, un jour, découvre que de la nourriture disparait chez lui, que des objets se retrouvent à d’autres places. L’homme installe alors une webcam, et découvre l’impensable : une femme habite clandestinement chez lui, et ce depuis un an !

Ce sont deux solitudes qui se rencontrent et la rigidité de notre héros apparaît dès les premières lignes comme chancelante. L’écrivain réussit à nous montrer un homme qui se maintient vivant mais qui déjà, se sent éteint. Une description qui prépare le lecteur à la rencontre qui va suivre, et réveiller quelque peu le personnage.

Quand l’auteur joue avec le rythme

L’auteur peut également jouer avec la phrase, avec la ponctuation aussi, pour mener le lecteur selon un rythme qu’il impose et qui insuffle une ambiance au récit. Ici, Laurent Gaudé installe son histoire dans les Pouilles italiennes saturées de soleil. Son vocabulaire, comme ses phrases courtes et hachées de virgules entrent merveilleusement bien en résonance avec le temps, avec la chaleur qui « brûle, abime et condamne ». 

« Sur un chemin de poussière, un âne avançait lentement. Il suivait chaque courbe de la route, avec résignation. Rien ne venait à bout de son obstination. Ni l’air brûlant qu’il respirait. Ni les rocailles pointues sur lesquelles ses sabots s’abimaient. Il avançait. Et son cavalier semblait une ombre condamnée à un châtiment antique. L’homme ne bougeait pas. Hébété de chaleur. Laissant à la monture le soin de les porter tous deux au bout de cette route. La bête s’acquittait de sa tâche avec une volonté sourde qui défiait le jour. Lentement, mètre après mètre, sans avoir la force de presser jamais le pas, l’âne engloutissait les kilomètres. »

Le Soleil des Scorta – Laurent Gaudé

Quand l’auteur joue avec les niveaux de langue

Le premier roman de David Lopez a immédiatement fait de cet auteur un phénomène littéraire tant son écriture est inventive et pleine d’une verve travaillée. Cet extrait illustre bien sa plume à la fois maîtrisée et mouchetée de décontraction.

Après une description des lieux qui nous plonge dans l’action comme une caméra au cinéma, la description de Romain vient réveiller le lecteur, elle fait exploser le texte. Ce sont des bulles de détente qu’injecte l’auteur dans son roman. C’est jouissif pour celui qui lit.

« On passe la véranda, un store cassé pend du haut de la vitre jusqu’à toucher le sol, et on arrive dehors où une petite terrasse précède un jardin tout en longueur. Derrière c’est comme devant. Ce Romain est soit une feignasse soit un putain d’amoureux de la nature. Sur la gauche, là où se dirige Ixe, un espace semble pourtant aménagé. Il a construit un cabanon aux parois grillagées qui contient un buisson. Il attrape l’extrémité d’une branche passée à travers le grillage, regarde-moi ça il dit, et je vois une grosse tête d’herbe bien compacte, dense, et grasse au toucher. On dirait un mini sapin de Noël. Je fais oh putain, et lui, il se met à rire, il est tout excité. »

Fief – David Lopez

Quand l’auteur joue avec l’analogie

Dans ce cas, le lecteur est embarqué d’un personnage ou d’un lieu vers un autre, les deux étant mis en perspective pour une correspondance qui parle au lecteur.

Le cas suivant est d’autant plus frappant qu’il est question de maltraitance des animaux que l’écrivain rapproche d’une machine qu’on fabrique froidement, qu’on modèle à sa guise, qu’on traite avec une terrible insensibilité. Il sait que l’image va parler, qu’elle va toucher, qu’elle va mettre en évidence des réalités douloureuses. Alors il pousse loin l’intensité des mots : « bêtes débiles », « carcasses monstrueuses », « produire toujours plus », « croissance extraordinaire ». Le vocabulaire économique, appliqué à des bêtes qu’on sait aujourd’hui sensibles, nous rend d’autant plus sensibles à leur sort. Et nous pousse à réfléchir à notre consommation. 

« Ils ont modelé les porcs selon leur bon vouloir, ils ont usiné des bêtes débiles, à la croissance extraordinaire, aux carcasses monstrueuses, ne produisant presque plus de graisse mais du muscle. Ils ont fabriqué des êtres énormes et fragiles à la fois, et qui n’ont même pas de vie sinon les cent-quatre-vingt-deux jours passés à végéter dans la pénombre de la porcherie, un cœur et des poumons dans le seul but de battre et d’oxygéner leur sang afin de produire toujours plus de viande maigre propre à la consommation. » 

Règne animal – Jean-Baptiste Del Amo

Quand l’auteur joue avec l’oxymore

Il surprend le lecteur en plaçant deux termes opposés côte à côte. Ici, Pierre Lemaitre parle de la gaffe en disant d’elle qu’elle est « efficace ». C’est tout sauf attendu. Et pourtant, la suite de la phrase achève de nous convaincre. La phrase a ceci de percutant qu’elle nous pousse à voir les choses selon un angle complètement neuf. L’oxymore appuie le propos, et l’information passe d’autant mieux qu’elle fait rire. 

« La gaffe a ceci de magique qu’elle est à la fois efficace, fulgurante et généreuse en dommages collatéraux. »

Le Silence et la Colère – Pierre Lemaitre

Quand l’auteur joue avec la métaphore filée

Dans son premier roman, Feurat Alani, journaliste et lauréat du prix Albert Londres, raconte son père et sa relation à l’Irak dont ses parents sont originaires. Sa définition de l’identité joue avec la métaphore filée, développant son idée comme un « long voyage solitaire ». 

C’est d’autant plus parlant et intelligent que l’identité est mouvante. Elle évolue avec les années, avec les rencontres, avec l’âge. Le paragraphe ci-dessous nous place donc dans cette optique du mouvement, et on suit l’auteur avec délice. 

« L’identité est un long voyage solitaire. Chaque voyageur porte une valise. C’est une valise que tu ne vois pas. Elle est invisible, mais elle est là. Au cours de ton existence, cette valise va se remplir de rencontres, de souvenirs, d’expériences, bonnes et mauvaises. Pour qu’elle ne soit pas trop lourde et pour que tu puisses avancer, tu devras enlever certaines choses inutiles et garder les plus importantes. Il faudra faire le tri car, face au poids des mots, des rencontres, de l’adversité, de l’amour et de la haine, des victoires et des défaites, les épaules du voyageur se voûtent. L’identité, mon fils, est un long périple. À toi de le rendre le plus léger et le plus droit possible. Sache qu’on n’est pas. On devient. »

Je me souviens de Falloujah – Feurat Alani


Quelques mots pour conclure

On le voit bien, jouer avec les mots, avec les champs lexicaux, avec l’atmosphère ou la langue, c’est créer son propre ton, faire entendre sa voix unique, c’est s’amuser avec le lecteur. Distillés ça et là dans le texte, ils lui offrent un cachet et le laissent 


Assmaâ Rakho-Mom est écrivaine, podcasteuse, chroniqueuse littéraire et boulimique de livres. Elle aime par-dessus tout écrire, raconter des histoires, mettre en scène des récits. Le faire sur divers supports, via différents canaux, et avec des styles variés la stimule grandement. Assmâa Rakho-Mom a été journaliste, correctrice, directrice de collection dans l’édition, chroniqueuse littéraire, avant d’arrêter ces activités pour se consacrer à l’écriture. En parallèle, elle a développé Bookapax, un compte Instagram dédié au livre et à l’écriture, puis un podcast littéraire, leBookapax Podcast. Elle est l’autrice de trois romans : Les cellules de la galère Le fils de Zahwa et Un territoire.

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