Cet été, nous avions envie de mettre la littérature francophone à l’honneur. C’est donc tout naturellement que nous nous sommes tournées vers Marie Laberge, la grande dame des lettres québécoises, pour en savoir plus sur son processus d’écriture. Marie nous a ouvert les portes de son bureau, un cocon face à la mer, où elle élabore ses récits qui sont une ode à la vie, malgré les coups du sort et la noirceur dans laquelle plongent parfois ses personnages…
Qui ne s’est jamais interrogé sur l’acte même de créer, au point de vouloir connaître les secrets d’écriture, les lieux, les rituels des auteurs renommés ? En interrogeant Marie Laberge, nous avons pu avoir un aperçu de l’environnement dans lequel elle se plonge pour écrire ses livres, avec pour outil stylo-plume et encrier, et un fidèle dictionnaire à portée de main. Laissons donc la parole à Marie pour nous expliquer les rouages de la création, à partir du choix du titre de ses livres, processus complexe et passionnant s’il en est…




« Le titre, ah… le titre!
Comment expliquer cet étrange phénomène qui fait que le titre arrive tout de suite et s’impose ou alors se dérobe et se montre plus que fuyant?
Chaque fois, c’est le même combat : autant le titre peut se placer avant d’écrire une seule ligne, autant ça peut être une sorte de casse-tête qui se rend bien au-delà du mot «fin».
Prenons en exemple mon dernier roman intitulé «Contrecoup». Ce titre-là n’a pas été facile. Il a mué, s’est développé, s’est quelquefois expliqué inutilement (vous dire comme s’expliquer dans un titre ou, pire, se justifier n’est pas une bonne idée!) sans trouver sa juste impulsion, celle qui donne envie d’ouvrir le livre et d’explorer plus avant.
La preuve? Ma page de travail…qui a connu des rectifications, des ajouts, des hésitations et j’en passe.
Parce que le titre, c’est l’appel.
Combien de livres avez-vous pris dans vos mains parce que le titre vous intriguait, vous charmait, vous parlait? En dehors de la couverture (qui n’est pas que de notre ressort), c’est le plus puissant argument pour inciter le lectorat à y regarder de plus près. Ensuite vient le texte en quatrième de couverture.
Pour l’écrivain, c’est le point de départ de l’aventure, c’est le fameux cri qui initie toute l’affaire. Il faut que ce soit aussi l’essence de ce que l’œuvre porte, ou du moins une partie de celle-ci. Quelquefois, pour moi en tout cas, le récit m’emporte si loin que le titre de départ ne convient plus vraiment, il faut le changer, lui donner plus de racines dans le propos du livre. C’est déjà révéler que j’écris sans aucun plan, avec une idée forte du propos et beaucoup moins de précision sur la manière dont vont évoluer mes personnages principaux.
La trilogie Le Goût du bonheur, qui était un projet d’envergure, en est un bon exemple.
Au début, je voyais les trois tomes comme l’évolution des perspectives de l’histoire. Autant le premier tome était celui d’un Québec plus replié sur lui-même, autant les tomes suivants devaient porter l’ouverture, l’évolution qui y prenaient place.
Mes premiers titres, au tout début, étaient : «L’île», «La ville» et «Le monde» et sont donc devenus les prénoms des principaux personnages. Là encore, il y a eu un changement pour le dernier tome qui s’appelait à l’écriture «Léa/Leah», prénoms de deux personnages qui ne survenaient pas dans le premier tome. Comme je désirais que ce soit un tout et que les prénoms utilisés soient déjà connus dans le premier tome, «Florent» est devenu le titre du troisième tome.
Je pourrais épiloguer longuement sur les joies, le travail et les erreurs que ce fameux choix de titre peut entraîner. Il ne suffit pas de le tenir, ce titre, quelquefois, il faut le défendre auprès d’un éditeur qui n’a pas la même vision des choses. L’éditeur a d’autres soucis que la justesse ou l’évocation d’un titre par rapport au contenu du livre. Il pense «marketing», il faut bien le dire. Tout comme la couverture (si souvent réalisée par quelqu’un qui n’a pas lu une seule ligne du manuscrit), ces aspects du livre sont soumis aux modes, aux titres déjà pris ou évocateurs des mêmes réalités, à la sonorité des mots, à tant de choses sans réel rapport avec ce que les pages contiennent. Mais qui ont leur importance. Là encore, l’éditeur peut ne rien vouloir ajouter à un titre — et dans ce cas, il n’en dit souvent pas un mot — ou alors le changer du tout au tout pour un titre qui peut soit viser juste, soit faire vaciller la compréhension totale de l’aventure contenue dans le livre. Et là, c’est l’heure de la diplomatie et des négociations.
Il arrive qu’on fasse des erreurs, on peut les regretter, mais les pires sont les compromis faits sans la conviction qu’il demeure un sens profond entre le titre et l’œuvre. C’est un sacrifice que l’écrivain se pardonne mal puisque ce faisant, il dissocie l’œuvre de sa représentation, son titre. Je crois qu’il faut vraiment travailler à ce que tout le monde se déclare satisfait du titre, auteur et éditeur, pare que c’est plus que du décorum, c’est de l’ordre de l’essentiel.
Enfin, juste pour vous faire sourire, parmi tous mes titres, celui dont personne ne se souvient jamais est celui d’une pièce de théâtre appelée avec justesse… Oublier! Les spectateurs qui m’en parlaient ne se souvenaient pas tellement du titre mais précisément de la pièce.
Ma première pièce de théâtre a également subi la torture de la longue explication évocatrice, mais trop chargée : C’était avant la guerre à l’Anse-à-Gilles. Ça m’a guérie à jamais des longs titres. Presque… puisque la pièce qui précédait celle-ci s’appelait Jocelyne Trudelle trouvée morte dans ses larmes.
Mes romans ont le bonheur d’être chapeautés d’un titre habituellement court et je m’y tiens parce que ça me semble plus percutant et donc plus efficace.
Je dois prendre de l’expérience et apprendre de mes erreurs ma foi!
Au plaisir, chers lecteurs, pour explorer un autre aspect de l’écriture. »
Marie Laberge
Marie Laberge est une dramaturge, romancière, comédienne et metteure en scène québécoise. Son oeuvre prolifique compte de nombreuses pièces de théâtre et romans, parmi lesquels la trilogie Le Goût du bonheur (Gabrielle, Adélaïde et Florent) qui s’est vendu à plus de 500 000 exemplaires.