Longtemps, j’ai évité les dialogues. Ils représentaient mon point faible. Les écrire me mettait en difficulté. J’avais souvent l’impression qu’ils tombaient à plat, qu’ils sonnaient faux, qu’ils n’étaient pas assez fluides. Avec le temps, avec la pratique et avec la lecture d’autres qui, eux, les maitrisaient à merveille, j’ai réussi à trouver la parade. J’ai davantage pris confiance en moi et en mes capacités à écrire des dialogues qui tiennent la route.
Mais c’est quoi précisément un dialogue ? Et comment en écrire de bons ? Comment l’introduire ? Le présenter ? Rendre l’histoire plus vive, plus dynamique ? C’est ce qu’on va voir ici.
DIFFERENTS TYPES DE DIALOGUES
- Le dialogue ordinaire :
C’est le dialogue le plus évident, celui qui place deux personnes l’une en face de l’autre, même s’il peut y avoir des personnages qui arrivent en cours de route et qui viennent alors compliquer la scène.
Exemple tiré du dernier roman de Joyce Maynard et intitulé Où vivaient les gens heureux. Il place face à face deux femmes : Eleanor et Darla.
« Hé ! C’est toi, dit-elle en observant la photo au dos d’un livre.
– Tu devrais en prendre un pour ta fille, lui proposa Eleanor.
– Tu n’es pas du coin hein ? J’ai l’impression.
Il se trouvait que Darla non plus. Elle venait du nord du Maine. La région des pommes de terre.
« On était une famille de meuniers. Tu sais ce que ça veut dire ? Vendredi, jour de paie. On n’y échappait pas : le père se soûlait jusqu’à dimanche soir, gueule de bois le lundi. »
- Le dialogue moulé dans le texte :
Là le dialogue se lit comme une description, il est fondu dans le texte, il n’est pas formel. Pas d’introduction aux paroles, pas de ponctuation spécifique. Ce type de dialogue donne au récit une certaine solennité, une certaine gravité, le lecteur est placé à distance et cela rend le texte ironique et drôle.
Exemple : le grand spécialiste de ce genre de dialogue reste Jean Echenoz. Son dernier roman, intitulé Envoyée spéciale, commence comme suit : « Je veux une femme a proféré le général. C’est une femme qu’il me faut, n’est-ce pas. Vous n’êtes pas le seul dans ce cas, lui a souri Paul Objat. Épargnez-moi ces réflexions, Objat, s’est raidi le général, je ne plaisante pas là-dessus. Un peu de tenue, Bon Dieu. Le sourire d’Objat s’est dissous : je vous prie de m’excuser mon général. N’en parlons plus, a dit le gradé, réfléchissons.Nous ne sommes pas loin de midi. Les deux hommes réfléchissent, assis de part et d’autre d’un secrétaire métallique vert, vieux modèle réglementaire à caissons derrière lequel se tient le général. Le plateau de ce meuble n’est occupé que par une lampe éteinte, une boîte de cigarillos Panter Tango, un cendrier vide et un sous-main en buvard très ancien, fort effiloché, qui semble avoir épongé puis conclu nombre d’affaires depuis, disons, le dossier Ben Barka. »
- Le dialogue absorbé par le texte :
Ici, le maître incontesté selon moi reste Laurent Mauvignier, qui emploie ce type de dialogue dans tous ses romans. Dans le dernier, intitulé Histoires de la nuit, il fait tourner son histoire autour de trois personnes dans un hameau isolé. Un sublime polar social et psychologique. Et voilà comment il intègre un dialogue dans un paragraphe aux phrases très longues mais extrêmement maîtrisées.
Dans cette scène, un des personnages principaux, Marion, est au travail et une réunion compliquée s’annonce : « Elle a réussi à maîtriser cette frousse qu’elle avait plus redoutée qu’un danger réel, oui, car au moment d’entrer dans la salle de réunion il lui avait fallu d’abord dominer la peur qu’elle avait eue de succomber à sa peur, car elle avait craint avant tout de se laisser submerger par elle, de se laisser paralyser par elle, »
Et à partir de là le dialogue arrive, absorbé par le texte, intériorisé :
d’être empêchée par elle au point de ne pas savoir répondre quand on commencerait à la mettre sur la brèche – le grill – à lui poser des questions sur ce regrettable incident qui nous met tous dans une situation délicate, vous ne trouvez pas Marion, avec un procès à gérer que de toute façon nous allons perdre, au moins sur la forme parce que nous savons bien qu’une erreur a été commise par nos services et que, comme l’a dit le directeur, nous la paierons tous car nous sommes tous dans le même bateau. »
Dans cette portion de texte, on voit que Marion n’est pas encore dans la conversation, mais qu’elle a déjà intériorisé le dialogue qui s’annonce. Elle va en être le témoin et elle en informe le lecteur.
Mais voyons maintenant :
COMMENT ECRIRE UN BON DIALOGUE ?
Pour écrire un bon dialogue, gardez en tête plusieurs impératifs, plusieurs règles :
- Faites en sorte que votre dialogue arrive naturellement dans le texte : le lecteur qui suit votre histoire ne doit pas sentir que les dialogues tombent comme un cheveu sur la soupe. Insérez-les donc avec la plus grande fluidité, sans heurter ni briser le court du récit. Le dialogue doit sonner juste.
- Trouver une voix propre à chaque personnage : et cette voix, elle doit être immédiatement reconnaissable. Elle doit l’être tellement que le lecteur n’a pas besoin qu’on lui dise qui parle. Mais elle doit aussi se distinguer de manière subtile : un ton, une économie de mots, un accent particulier, un tic de langage, un défaut de langage, de l’argot, des mots d’une autre langue, une grande franchise par exemple, etc.
- Glisser des actions entre les propos des personnages : en réalité c’est l’évidence même. Quand deux personnes parlent, elles ne sont pas figées, elles ne sont pas inexpressives. Au contraire, elles bougent, s’agitent, circulent, leur corps peut se faire très éloquent, etc. Alors plutôt que d’opter pour des verbes de paroles, choisissez de donner davantage de densité à votre dialogue, davantage de consistance en y intégrant l’action des personnages en présence.
- N’abusez pas des verbes de paroles : ils alourdissent le texte. Quand vous pouvez les éviter, faites-le.
- Halte aux monologues ! Si votre personnage tient un long discours, il observe forcément des temps de pause. Profitez-en pour en faire des temps de respiration pour votre lecteur. Décrivez son regard par exemple, ses temps de pause, etc.
- Faites correspondre la personnalité du personnage avec sa façon de parler : par exemple, un paysan taiseux ne fera pas de longues phrases. Jouez aussi sur les préjugés, par exemple en optant pour un personnage de concierge misanthrope. Dans ce cas, n’en faites pas quelqu’un qui parle beaucoup aux gens.
- Jouez avec les silences : un dialogue, ce n’est pas que des mots. Les silences peuvent en dire long sur l’état d’esprit de celui ou celle qui se tait, sur ses émotions, ses impressions.
- Travaillez chacune de vos répliques, revenez sur vos dialogues pour avoir des phrases ciselées, dépouillées de tout terme inutile. Cherchez aussi des réponses percutantes, celles qui font mouche, qui frappent, qui font rire le lecteur. Mais n’en faites pas trop non plus.
Dernier conseil, et pas des moindres, lisez encore et encore, et observez à chaque fois la manière dont les auteurs que vous aimez amènent leurs dialogues, comment ils les écrivent, comment ils les habillent, comment ils s’insèrent dans le récit. Vous en apprendrez beaucoup, vous apprendrez qu’il existe autant de style de dialogues que de style d’auteur, et en vous imprégnant, vous trouverez votre propre voix.
EXERCICE 1 :
Imaginez le dialogue d’un père et sa fille. Elle a 16 ans, elle était jusque-là fusionnelle avec son père, et depuis quelques temps elle s’éloigne. Ce soir-là, il a du mal à dormir alors il se lève, va au salon, voit sa fille affalée sur le canapé avec un livre, s’assied sur un fauteuil et demande :
- Il est bien ton bouquin ?
Ecrivez une suite à cette scène en prenant en compte tous les conseils donnés précédemment.
EXERCICE 2 :
Deux amis sont dans le métro, debout près des strapontins, et ils discutent. L’un est très animé, très expansif, tandis que l’autre est plus en retrait sans pour autant manquer d’assurance.
Imaginez leur discussion. N’oubliez pas d’insérer descriptions, actions, etc.
Assmaâ Rakho-Mom est écrivaine, podcasteuse, chroniqueuse littéraire et boulimique de livres. Elle aime par-dessus tout écrire, raconter des histoires, mettre en scène des récits. Le faire sur divers supports, via différents canaux, et avec des styles variés la stimule grandement. Assmâa Rakho-Mom a été journaliste, correctrice, directrice de collection dans l’édition, chroniqueuse littéraire, avant d’arrêter ces activités pour se consacrer à l’écriture. En parallèle, elle a développé Bookapax, un compte Instagram dédié au livre et à l’écriture, puis un podcast littéraire, le Bookapax Podcast. Elle est l’autrice de deux romans : Les cellules de la galère et Le fils de Zahwa.
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