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Conseils d’écriture : Le point de vue

Avec le succès de notre rubrique d’information juridique, nous avons souhaité développer les rubriques thématiques sur notre blog. C’est avec grand plaisir que nous inaugurons une nouvelle section dédiée aux conseils d’écriture avec ce mois-ci un focus sur le point de vue. Cette rubrique sera alimentée chaque mois par Assmaâ Rakho-Mom, écrivaine, podcasteuse, chroniqueuse littéraire et boulimique de livres comme elle aime à se présenter.

Qui raconte votre histoire ? Cette question, vous devez vous la poser dès que vous avez une idée claire de votre roman. Car elle détermine la manière de dérouler et de percevoir cette même histoire. Le point de vue narratif, qu’on appelle aussi la focalisation, c’est l’œil du lecteur que vous choisissez de placer à telle ou telle hauteur. Il répond aux questions « Qui parle ? » « Qui décrit ? » et « Avec quel œil le lecteur voit-il l’histoire ? »

Les différents points de vue

Ecrire un roman, c’est avant tout choisir qui parle, qui raconte, qui a accès aux informations. Il s’agit de trouver l’angle qui servira au mieux votre texte, sachant qu’il existe trois principaux types de points de vue.

Le point de vue omniscient 

C’est la situation où romancier et lecteur savent tout. Ils connaissent absolument tout des personnages et de l’histoire. Ils en savent plus sur les personnages que les personnages eux-mêmes. L’histoire est racontée à la troisième personne du singulier, et ainsi plusieurs points de vue peuvent être abordés en même temps. L’avantage c’est que le lecteur connaît les pensées des personnages, et l’écrivain peut choisir avec quel personnage il va divulguer telle ou telle information.

Par contre, comme le narrateur sait tout, il   faut trouver le moyen de créer du suspense pour tenir le lecteur en haleine. Il faut aussi faire très attention concernant les changements de point de vue. Dans une même scène, on ne peut pas passer d’un personnage à l’autre sans une transition fine et travaillée. L’erreur serait de passer brutalement d’un personnage à l’autre pour détailler les pensées de chacun en se disant qu’ainsi l’histoire sera plus claire pour le lecteur. Il faut changer de point de vue avec dextérité, en insérant des liaisons, des passages de transition.

Exemple de roman avec point de vue omniscient

« Lorsqu’il fut sur le trottoir, il demeura un instant immobile, se demandant ce qu’il allait faire. On était au 28 juin, et il lui restait juste en poche trois francs quarante pour finir le mois. Cela représentait deux dîners sans déjeuners, ou deux déjeuners sans dîners, au choix. Il réfléchit que les repas du matin étant de vingt-deux sous, au lieu de trente que coûtaient ceux du soir, il lui resterait, en se contentant des déjeuners, un franc vingt centimes de boni, ce qui représentait encore deux collations au pain et au saucisson, plus deux bocks sur le boulevard. C’était là sa grande dépense et son grand plaisir des nuits, et il se mit à descendre la rue Notre-Dame-de-Lorette. »

Bel-Ami, Guy de Maupassant (incipit)

Le narrateur est omniscient. Il sait tout du personnage (son passé, l’état de ses finances, ses préoccupations), que ce soit d’un point de vue interne (les pensées de Duroy) ou externe (ses actions, ses gestes). Le récit est à la troisième personne. Il donne son point de vue et commente les actions de Duroy (« C’était là sa grande dépense et son grand plaisir des nuits »).

Le point de vue interne 

Ici, le narrateur se place dans la peau d’un seul personnage et raconte l’histoire à travers les yeux et les pensées de ce protagoniste principal. Le récit peut être à la première ou à la troisième personne du singulier, et la perception du lecteur est réduite. Il suit les péripéties de l’histoire avec une vision limitée, avec celle d’un seul et unique personnage, et avec un point de vue subjectif, à savoir la parole et les pensées de celui qui dit « je ». Avec ce mode de narration, il est facile de mener le lecteur en bateau, mais attention à le faire de manière subtile, sans se moquer de lui. ce procédé peut être  très efficace par exemple dans les romans policiers ou dans les romans à gros retournement.

L’avantage de ce point de vue réside dans le fait que, comme le lecteur suit l’intrigue avec un même personnage sur toute la durée de l’histoire, il peut plus facilement et plus fortement s’identifier puisqu’il a accès à ses émotions les plus profondes et qu’il suit son évolution. C’est le cas par exemple avec les sagas Harry Potter de J.K. Rowling, ou L’amie prodigieuse d’Elena Ferrante. La difficulté avec ce choix de point de vue, c’est qu’il va falloir donner à voir les autres personnages à travers les yeux du narrateur. Et dans ce cas, on n’a qu’un son de cloche, qu’un seul et unique point de vue qui reste subjectif.

Exemple de roman avec point de vue interne

« Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l’ovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de petits pois, se répandait à plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa personne se découpait sur le fond de l’air bleu.
(…)
Jamais il n’avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu’elle avait portées, les gens qu’elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n’avait pas de limites. »

L’éducation sentimentale, Gustave Flaubert

Le point de vue externe 

Dans cette situation, le lecteur ne sait rien et n’a accès à rien. Il n’est dans la tête ou le corps d’aucun personnage et suit les événements comme une caméra externe. Il observe les faits et en déduit des choses.

Ce qui est intéressant avec ce point de vue, c’est que lecteur et auteur se sentent égaux. Le lecteur a l’impression de progresser dans l’histoire, de découvrir la suite du récit en même temps que le narrateur. Il avance en n’ayant vraiment aucune idée de la suite et en ayant tout à deviner. Le suspense est alors facile à installer et apporte un vrai plus à l’histoire. Le texte en devient addictif, le lecteur est scotché, avide de connaître la suite.

Par contre, la difficulté est ailleurs. Comme vous avez placé les yeux du lecteur en hauteur, il va falloir tout décrire, tout amener de manière subtile et ne pas se contenter d’informations du type « Untel est mal à l’aise » ou encore « Sara est très heureuse ». Non. Il s’agit là de montrer les choses, de donner à voir au lecteur les manifestations de ces émotions et pensées. Les sourires qui se font plus larges, le rouge qui monte aux joues, les poings qui se serrent ou encore les mains qui tremblent.

Autre difficulté, pour avancer dans le récit et transmettre des informations au lecteur, il va falloir trouver plusieurs canaux. Vous pouvez le faire via les descriptions, mais aussi via les dialogues, pour un effet de surprise plus grand et un saupoudrage subtil d’informations. Mais attention ! Si c’est fait à travers les dialogues, il faudra l’inclure délicatement dans une scène qui s’y prête, et ne surtout pas sortir le lecteur du récit en créant des dialogues dans le but d’annoncer des choses.

Exemple de roman avec un point de vue externe

« Comme il faisait une chaleur de 33 degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert.

(…)

Deux hommes parurent.

L’un venait de la Bastille, l’autre du Jardin des Plantes. Le plus grand, vêtu de toile, marchait le chapeau en arrière, le gilet déboutonné et sa cravate à la main. Le plus petit, dont le corps disparaissait dans une redingote marron, baissait la tête sous une casquette à visière pointue.

Quand ils furent arrivés au milieu du boulevard, ils s’assirent à la même minute, sur le même banc.

Pour s’essuyer le front, ils retirèrent leurs coiffures, que chacun posa près de soi ; et le petit homme aperçut écrit dans le chapeau de son voisin : Bouvard ; pendant que celui-ci distinguait aisément dans la casquette du particulier en redingote le mot : Pécuchet.

“Tiens !” dit-il “nous avons eu la même idée, celle d’inscrire notre nom dans nos couvre-chefs.

– “Mon Dieu, oui ! on pourrait prendre le mien à mon bureau !” »

Bouvard et Pécuchet, Gustave Flaubert

Comment choisir son point de vue ?

Pour choisir votre point de vue, posez-vous les questions suivantes : qu’est-ce que je veux raconter ? Et comment je veux raconter mon histoire ? A partir du moment où vous avez une idée précise de votre histoire, la manière de l’amener vient vite. Et de toute façon, le point de vue narratif n’est pas figé. Si à la relecture vous vous rendez compte que vous n’avez pas choisi le bon, il est toujours temps d’en changer.

Mais avant tout, lisez beaucoup et observez la façon dont les écrivains racontent leurs histoires. Regardez comment ils la construisent, où ils placent le lecteur, et quels sont les effets produits. Vous aurez ainsi un aperçu assez vaste des possibilités qui s’offrent à vous. Par la suite, quand vous aurez plus d’assurance, vous pourrez aussi vous démarquer complètement et vous affranchir des règles pour en créer de nouvelles, les vôtres, celles qui marqueront et assoiront votre style.

Le point de vue choisi a un impact fort sur l’histoire. Il installe la vision du lecteur pour que celui-ci ait une certaine perception de l’histoire. Plus le point de vue est bien choisi, plus le lecteur est impacté par le récit, par le ou les messages, par les émotions etc. Alors, choisissez votre point de vue pour que :

  • Votre histoire soit racontée et se déroule de la manière la plus fluide.
  • Votre message passe le mieux possible.

Mettez le point de vue narratif au service entier de votre histoire. Si ce n’est pas le cas, changez-le ! Faites en sorte que le lecteur s’identifie un maximum à vos personnages, à ce qu’ils vivent, à leurs choix, à leurs émotions. Ne perdez pas votre lecteur en route.

Exercice

Voici un exercice pour vous entraîner, en vous appuyant sur des contes que vous pouvez revisiter :

  • Prenez l’histoire du Roi Lion et racontez-là dans les grandes lignes du point de vue de Scar.
  • Prenez l’histoire de La Belle et la Bête et réécrivez-là en une page du point de vue du père de Belle.
  • Ou alors, prenez un conte ou un roman et réécrivez brièvement l’histoire du point de vue d’un personnage secondaire.

Assmaâ Rakho-Mom est écrivaine, podcasteuse, chroniqueuse littéraire et boulimique de livres. Elle aime par-dessus tout écrire, raconter des histoires, mettre en scène des récits. Le faire sur divers supports, via différents canaux, et avec des styles variés la stimule grandement. Assmâa Rakho-Mom a été journaliste, correctrice, directrice de collection dans l’édition, chroniqueuse littéraire, avant d’arrêter ces activités pour se consacrer à l’écriture. En parallèle, elle a développé Bookapax, un compte Instagram dédié au livre et à l’écriture, puis un podcast littéraire, le Bookapax Podcast. Elle est l’autrice de deux romans : Les cellules de la galère et Le fils de Zahwa.

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