En cette période de rentrée littéraire, nous avons voulu mettre en lumière une initiative qui fait la part belle aux auteurs et à l’édition indépendante à travers le label les indés fondé par Laurent Bettoni, Anne Chevalier et Christophe Mangelle.
1/ Bonjour Laurent. Pouvez-vous nous présenter les indés en quelques mots ?
Les indés est un label éditorial créé par un auteur pour les auteurs. Nous poursuivons deux buts principaux :
- découvrir et tenter de propulser des auteurs encore méconnus (tout en accueillant volontiers les confirmés qui souhaiteraient nous rejoindre) ;
- faire en sorte que les auteurs se sentent chez eux, dans ce label.
Cela commence par le fait qu’ils disposent librement de leurs droits et peuvent les récupérer à tout moment. Ils conservent donc le total contrôle de leurs œuvres et maîtrisent leur parcours d’auteur. Ensuite, un esprit d’équipe fondé sur un véritable partenariat nous anime. C’est-à-dire que, pour un livre donné, nous ne versons pas d’à-valoir (nous n’en avons pas les moyens) mais nous partageons moitié-moitié les revenus net du label avec l’auteur. En termes de pourcentages, nous reversons à l’auteur 15 % du prix HT du livre papier et 25 % du prix HT du livre électronique. Et ce, dès le premier exemplaire vendu, sans procéder par paliers croissants. En outre, nous procédons à une reddition des comptes et à un versement mensuel.
2/ Pourquoi créer un label plutôt qu’une maison d’édition ? Est-ce moins contraignant de part et d’autre ?
Le label nous donne plus de liberté d’action qu’une structure éditoriale classique, dans la mesure où nous avons des coûts de fonctionnement moindres et moins de contraintes. Ce qui nous rend plus réactifs et moins soumis aux règles étouffantes de l’édition traditionnelle. La promotion de nos livres par les circuits traditionnels n’est, certes, pas aisée en raison de nos faibles moyens. Mais, petit à petit, nous creusons notre sillon et parvenons à montrer la qualité des textes que nous publions. Deux de nos auteurs – Élodie Mazuir avec Le Pianiste et les matriochkas, et Brigitte Hache avec Beaucoup de peine, beaucoup d’espoir, beaucoup d’amour – ont déjà obtenu des articles dans des magazines à très fort tirage, Journal de France et Femme actuelle jeux. En attendant d’avoir nos entrées dans la presse et les médias, nous concentrons notre communication sur les lecteurs eux-mêmes, en nous adressant directement à eux, via les réseaux sociaux et les sites en lignes. En attendant d’avoir davantage de visibilité en librairie physique, nous misons énormément sur le livre numérique, autre différence avec une maison d’édition traditionnelle. Nous appliquons une politique tarifaire vraiment sexy sur l’ebook, puisque nous commercialisons nos titres à 4,99 € ou 6,99 €. Soit un livre inédit au prix d’un poche ! Nous tenons énormément à la démocratisation de la lecture.
N’étant pas soumis au même timing qu’une structure classique, nous pouvons publier un livre quand bon nous semble, selon notre planning à nous. Par exemple, Tango loft, de Véronique Sauger, a été publié en un mois, car nous voulions qu’il ait des chances de participer au prix Hors concours. Nous avons modifié notre programmation du jour au lendemain pour sortir ce livre dans les temps. Nous avons réussi, et il a pu être présenté au prix. Enfin, en cas d’échec commercial, nous continuons avec l’auteur et publions ses prochains ouvrages, s’il le souhaite et s’ils nous conviennent toujours. À partir du moment où nous avons publié un auteur, où nous avons cru en lui, de faibles ventes ne nous font pas changer d’opinion à son sujet ni au sujet de son talent. Un succès d’édition est rarement lié à la seule qualité du livre, nous le savons. Je tiens à préciser également que, chez les indés, les textes sont minutieusement sélectionnés et que nous effectuons un travail éditorial irréprochable. Moins qu’une maison de renom, nous ne pouvons nous permettre la moindre erreur, sous peine de nous faire tirer dessus à boulets rouges, ce qui est injuste. Nous avons un seuil d’exigence qui n’a rien à envier à quiconque.
3/ Sur quels critères sélectionnez-vous les textes ? Que recherchez-vous avant tout dans un texte ?
Le seul vrai critère, pour l’instant, c’est la langue. Nous promouvons des auteurs francophones. Nous verrons plus tard pour des traductions. Ensuite, en tant que lecteurs, nos préférences vont à des auteurs qui possèdent une musique, une écriture, un univers et un style bien à eux. Ce sont donc souvent des auteurs qui ne font pas d’emblée le consensus car ils apportent quelque chose de neuf à la littérature, et il faut donc que le lecteur accomplisse un léger effort pour recevoir cette nouveauté. Mais beaucoup de lecteurs sont demandeurs de cela, de voix et de talents nouveaux, et sont prêts à faire cet effort initial. Notre travail consiste à trouver ces lecteurs et à leur faire savoir que nous avons ce qu’ils recherchent. Mais, en tant qu’éditeur, nous savons qu’il en faut pour tous les goûts et nous publions aussi avec grand plaisir des textes plus grand public. L’idée est que, chez les indés, chaque lecteur puisse trouver son livre.
4/ Quel est le point commun entre les textes déjà publiés ?
L’intérêt qu’ils peuvent susciter auprès du lectorat, dans un genre comme dans l’autre et à quelque niveau que ce soit : l’écriture, l’histoire, l’univers, le thème. Nous ne publions pas qu’en fonction de nos goûts propres, nous publions aussi et surtout des livres qui présentent selon nous un beau potentiel pour les lecteurs.
5/ Publiez-vous tous les genres ? Quel est votre rythme de publication ?
Oui, nous publions tous les genres. En sachant que la littérature jeunesse constitue un marché à part. Un livre jeunesse au format papier doit afficher un prix très bas, or nos coûts d’impression sont très élevés, si bien que nous sommes obligés de maintenir des prix standard en jeunesse. Et la majorité des parents ne dépensent pas volontiers 15 € à 20 € dans un livre pour leurs enfants quand l’auteur n’est pas J.K. Rowling… Par ailleurs, les jeunes lecteurs ne possèdent pas de liseuses, donc même en numérique, à 4,99 € ou 6,99 €, il est difficile de vendre un livre jeunesse. Toujours en raison des coûts d’impression, nous ne publions pas de livres illustrés en couleur.
Quant au rythme de publication, il est d’environ dix livres par an. Nous aimerions faire davantage, mais nous ne sommes que deux éditeurs et nous privilégions la qualité à la quantité. Nous sommes des chercheurs d’or, en quelque sorte, en quête de LA pépite, à chaque fois.
6/ Les auteurs ont-ils vocation à rester au sein de votre label sur le long terme ou à voler de leurs propres ailes, que ce soit en indépendant ou avec un éditeur traditionnel ? Combien de temps en moyenne pensez-vous les avoir sur le label ?
Nous aimerions garder tous nos auteurs avec nous ! Mais ce sont eux qui décident. Le label est là pour les propulser le plus haut possible. Ensuite, ils font ce qu’ils veulent. Ils peuvent partir à tout moment. Une des missions du label est d’établir des passerelles entre les auteurs qui en sont demandeurs et des maisons d’éditions traditionnelles. C’est prévu contractuellement entre les auteurs et le label. Mais je ne garantis aucune réussite à ce niveau-là. Simplement, certains éditeurs me connaissent et savent ce que je fais pour certains auteurs et certains textes qui rencontrent leur lectorat. Donc, si je propose un texte à ces éditeurs, ils l’accueilleront peut-être avec un a priori positif, mais cela n’en garantira aucunement la publication. Si un éditeur nous proposait d’établir un partenariat avec lui, un peu comme les labels musicaux avec les majors, nous en serions ravis.
7/ Comment se passe la promotion : est-ce que les indés se chargent de tout ou demandez-vous aux auteurs de participer à la communication (sur les réseaux sociaux par exemple, leur site/blog, etc.) ?
Cela dépend du profil de l’auteur. Certains ne se sentent pas du tout à l’aise avec la promotion, ce que nous comprenons parfaitement. Moi-même, en tant qu’auteur, je ne suis pas certain d’être le meilleur ambassadeur de mes livres, bien que je fasse mon possible pour aider à leur promotion. Certains auteurs, en revanche, tous ceux issus nativement du courant indé, sont d’excellents communicateurs et font ça très bien. Donc, là encore, en accord avec l’esprit mutualiste du label, nous mettons les compétences en commun. Le label se charge évidemment de la communication autour du livre, et l’auteur qui le désire est le bienvenu pour apporter sa contribution.
8/ Qu’apporte votre expérience d’auteur indépendant à ce label ?
Le fait d’être avant tout un auteur m’apporte une excellente compréhension des auteurs. Nous parlons le même langage, c’est plus simple. Je partage leurs craintes, leurs doutes, leurs aspirations, leurs interrogations. Alors je sais que leur dire lorsqu’ils m’en font part. Je suis peut-être aussi plus brut de coffre quand certains jouent les divas ou les artistes. En outre, cela me confère une légitimité certaine quand je suggère un travail de réécriture, quand je donne une réorientation au texte. Mon expérience de l’indépendance m’a surtout montré que, quand vous êtes indépendant, on ne vous pardonne rien et on vous reproche aussitôt la moindre erreur. Dans la mesure où vous empruntez des chemins détournés, vous éveillez d’abord la méfiance, et on a tendance à penser que vous n’avez pas de talent. Il faut donc être doublement exigeant. Cette exigence de haut niveau, nous nous évertuons à l’apporter aux indés.
9/ Pour quelle(s) raison(s) avez-vous choisi de publier vos livres sur la plateforme Kobo Writing Life ?
Kobo Writing Life offre aux indés l’indépendance, justement, dans les parutions de son catalogue et la gestion des droits d’auteur. Grâce à cette plateforme, nous diffusons nos titres en direct et évitons un intermédiaire – le diffuseur. L’interface utilisateur est très conviviale, sa manipulation est extrêmement simple et le tableau de bord permet de suivre aisément les ventes de chaque auteur, ce qui facilite grandement la reddition des comptes. D’autre part, il est primordial pour nous d’être présent sur la Fnac, qui est la plus grande vitrine française du livre. Je suis d’une génération qui a vu naître la Fnac et j’ai passé du temps à flâner dans ses rayonnages physiques. Il est donc normal que mon catalogue se trouve dans ses rayonnages virtuels !
Retrouvez le catalogue des indés en intégralité !